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CANDIDE OU L'OPTIMISME

VOLTAIRE

Pr=C3=A9face de Francisque Sarcey

Illustrations de Adrien Moreau

Librairie Artistique--G. Boudet, =C3=89diteur

197, BOULEVARD SAINT-GERMAIN, 197

1893


PR=C3=89FACE


C'est une chose inimaginable de voir comme en litt=C3=A9rature et en art
la gloire se d=C3=A9place d'un si=C3=A8cle =C3=A0 l'autre. Voici qu'un =C3=
=A9diteur, qui
compte parmi ses publications quelques-uns des plus beaux livres de
ce temps, me demande si je veux lui =C3=A9crire une pr=C3=A9face au Candi=
de qu'il
r=C3=AAve et dont il fait passer sous mes yeux les merveilleux dessins.
J'accepte, ravi d'attacher mon nom =C3=A0 une =C5=93uvre que les biblioph=
iles
garderont avec amour dans leur biblioth=C3=A8que et qui transmettra mon n=
om
=C3=A0 la post=C3=A9rit=C3=A9. Je me remets =C3=A0 lire _Candide_, bien q=
ue je l'aie su
presque par c=C5=93ur autrefois, tant j'en raffolais; car il n'y a rien d=
e
tel pour parler congr=C3=BBment d'un ouvrage que de s'en =C3=AAtre, la ve=
ille,
rafra=C3=AEchi la m=C3=A9moire, d'en avoir emport=C3=A9 une sensation nou=
velle; et je
cherche en m=C3=AAme temps ce qu'en ont pens=C3=A9 et dit les contemporai=
ns,
ceux qui aux environs de 1759 gouvernaient ou refl=C3=A9taient l'opinion
publique.

Je reste confondu. Pour nous _Candide_ est le chef-d'=C5=93uvre
de Voltaire; nous ne savons encore ce que les si=C3=A8cles futurs gardero=
nt
des soixante-dix volumes qu'il a =C3=A9crits. Nous pouvons =C3=AAtre assu=
r=C3=A9s
que si tout cet =C3=A9norme bagage doit tomber en ruines et p=C3=A9rir, i=
l y a un
petit conte de trois cents pages qui traversera les =C3=A2ges: c'est
_Candide._ Sur cette coquille de noix, le nom de Voltaire
voguera vers l'immortalit=C3=A9.

Eh bien! pour tout le XVIIIe si=C3=A8cle Candide, =C3=A0 vrai dire,
ne compte pas. On ne le distingue point d'une foule de productions qui
passent pour =C3=AAtre de second et m=C3=AAme de troisi=C3=A8me ordre dan=
s l'=C5=93uvre
du ma=C3=AEtre; on le met fort au-dessous des livres d'histoire, des po=C3=
=A8mes,
des trag=C3=A9dies... des trag=C3=A9dies surtout. Car en ce temps-l=C3=A0=
, _M=C3=A9rope,
Za=C3=AFre, Mahomet_, c'=C3=A9taient, comme on disait alors, les plus bea=
ux
fleurons de la couronne de Voltaire.

Pour vous former une id=C3=A9e du peu d'estime que l'on faisait des roman=
s
de Voltaire en g=C3=A9n=C3=A9ral et de _Candide_ en particulier, nous n'a=
vons
qu'=C3=A0 lire l'=C3=A9loge de Voltaire par La Harpe, celui qui fut couro=
nn=C3=A9 par
l'Acad=C3=A9mie. La Harpe y verse avec une abondance intarissable les flo=
ts
de son =C3=A9loquence sur les ouvrages que l'on tenait alors pour les seu=
ls
dignes d'un grand =C3=A9crivain, et s'arr=C3=AAtant tout =C3=A0 coup:

=C2=ABY avait-il, se demande-t-il avec une h=C3=A9sitation pudique, y ava=
it-il
parmi tant de travaux des d=C3=A9lassements et des loisirs? Oui, et c'=C3=
=A9tait
une foule de productions de tout genre, qui auraient encore =C3=A9t=C3=A9=
 pour
tout autre des travaux et des titres, mais qui n'=C3=A9taient que les jeu=
x de
son in=C3=A9puisable facilit=C3=A9 et semblaient se perdre dans l'immensi=
t=C3=A9 de
sa gloire: des contes charmants, des romans d'une originalit=C3=A9 piquan=
te,
o=C3=B9 la raison consent =C3=A0 amuser la frivolit=C3=A9 fran=C3=A7aise,=
 pour obtenir
le droit de l'instruire: nous fait rire de nos travers, de nos
incons=C3=A9quences, de nos injustices, et nous conduit par degr=C3=A9s =C3=
=A0 rougir
et =C3=A0 nous corriger; des morceaux pleins de gr=C3=A2ce ou d'int=C3=A9=
r=C3=AAt ou de
bonne plaisanterie ou d'=C3=A9loquence: _Zadig, Nanine, Candide_, le
_Trait=C3=A9 de la tol=C3=A9rance_: mille autres dont les titres innombra=
bles
n'ont =C3=A9t=C3=A9 retenus que parce que les presses de l'Europe ne se s=
ont pas
lass=C3=A9es de les reproduire, ni les lecteurs de toutes les nations de =
les
d=C3=A9vorer.=C2=BB